Pour nous, c'était un jeu nouveau très euphorisant, nous étions nombreux à envoyer nos enregistrements aux maisons de disques, qui assez vite ont été submergées par une pluie incessante de K7.
Du coup, assez rapidement, de l'état d'euphorie on est tombé dans celui de désillusion. À ce jeu, il y avait beaucoup d'appelés et peu d'élus, et les vainqueurs n’étaient pas forcément les meilleurs. Les maisons de disques organisaient des sessions d'écoute et faisaient leur choix en fonction des modes du moment, essayant de sélectionner le son dans « l'air-du-temps ».
Ah cet air-là ! Pour le choper c’est un peu comme dans les transports ferroviaires : pour monter dans le train, il faut arriver en gare juste à la bonne heure. Si tu arrives trop tard, le train est bondé et il te faut attendre le prochain, ça peut prendre un certain temps. Alors découragé, il est probable que tu abandonnes. Si tu arrives trop tôt, tu passes aussi des plombes à poiroter, et tu finis par louper le train car ce dernier entre en gare au moment où tu as décidé d'aller pisser. Bref, avant l'heure ce n’est pas l'heure, après l'heure ce n’est plus l'heure. Réussir pourrait se résumer au fait d'arriver en gare à la bonne heure pour sauter dans le train de « l'air-du-temps ». Bref, il ne faut jamais être à la mode avant ou après l’heure de la mode.
Je me souviens d’un jour, où presque au bout du rouleau, j’ai reçu l’appel d’un directeur artistique d’EMI à qui je venais d’envoyer mes maquettes. Sympa, le mec me dit que ce que je fais est bien et qu’il faut continuer. Il me suggère de lui envoyer dès que possible mes nouvelles compos…La K7 qu’il venait de recevoir était l’ultime tentative d’un mec en banqueroute, alors fébrile, je lui demande s’il y a une ouverture…Et il me répond qu’il n’y a pas de prod à espérer pour l’instant…Un mirage de plus…Mais il y a eu pire, beaucoup de musiciens ont été produits et ont investi toute leur énergie en studio, mais le disque qu’ils ont pu avoir en mains n’a jamais atteint les bacs, faute de distribution. L’issue était verrouillée…Il fallait le savoir, une infime partie de la production suffisait pour rentabiliser l’investissement global d’une major. Le reste du catalogue partait chaque année au rebut.
Dans ces mêmes années, l'arrivée des radios libre a d’abord suscité une flambée d'espoir, puis elles ont assez vite pris le pli en faisant le jeu des monopoles de la prod, car pour générer de l’écoute et donc intéresser les annonceurs, il fallait matraquer les fréquences avec les tubes proposés par les grands éditeurs, le serpent se mordait la queue.
Dans les 80, un tas de musicos se sont retrouvés avec leurs enregistrements sur les bras, et autour « les braves gens qui n'aiment pas que l'on suive une autre route qu'eux » en ont conclu que tous ces musiciens aux espoirs déçus n’étaient que des tocards sans talent. Vous connaissez la fable de la cigale et de la fourmi ?J’ai fait partie de ces wagons en route pour la déception, et heureusement que mon acolyte JFC s'est bougé pour aller défendre mes chansons devant un public, car sans lui, je n'aurai même pas été admis à la SACEM.
Rappelez-vous, c'était le début des années Top 50, pour convaincre et être crédible il fallait vendre et beaucoup de titres assez nuls ce vendaient très bien. Et puis c'était déjà la fin programmée des musiciens. L'armada des synthétiseurs, séquenceur, boite à rythmes et autres machines à faire de la musique séduisait déjà le public, une nouvelle génération à paillettes et épaulettes obsédée par le fric en faisait déjà son style. Trente-cinq ans après, je vous livre quelques-unes de mes maquettes enregistrées en piaules avec une platine K7 quatre pistes, produits de mes années 80 mais issues des bœufs de mes années 70.
Alors à bons entendeurs salut…